Après
m'être regardé Pride pour la 8ème fois, j'ai
réalisé qu'à chaque fois c'est le même moment qui me fais monter
les larmes aux yeux. Je me suis donc intéressée à la chanson en
question et ne peut m’empêcher de vous parler de textile, de pain,
de roses et d'une introduction très discrète du féminisme dans la
musique. Alors sans prise de parti, de revendications ou de marche
nue sur la place de l’Étoile, je vais essayer de vous parler de
cette sublime chanson qu'est Bread & Roses.
« Bread
& Roses » n'est pas seulement une chanson, c'est un
slogan et un hymne chargé d'histoire et pour bien vous remettre
dans le bain, il faut remonter jusqu'au début du siècle dernier.
Après
quelques petites recherches, on apprend très vite que
l'expression Bread & Roses vient d'un poème
publié en Décembre 1911 par the American Magazine (qui publiera
entre autre H.G Wells ou encore Sir Conan Doyle, donc pas petit le
truc). Ce journal sera, entre autres, un diffuseur des idées de la
lutte travailliste qui émergent à l'époque et reportera les
démarches féministes qui prennent peu à peu de l'ampleur à
travers le monde.
Le
poème mentionné plus tôt est écrit par James Oppenheim, un poète,
romancier et journaliste américain né à la fin du XIX ème et qui
s'éteindra à l'aube de la seconde guerre mondiale. Il écrit
beaucoup sur les inégalités sociales et les problèmes
démocratiques que l'on peut rencontrer à cette époque. Ainsi, il
parle beaucoup du Travail et des conditions de vie des travailleurs
et soutient le mouvement des suffragettes. Messieurs, je vous invite
à en prendre de la graine !
"Un homme sur deux est une femme." |
Le
poème en lui même se baserait sur une phrase prononcée par une des
icônes du mouvement féministe et du mouvement travailliste, Rose
Schneiderman, qui criera haut et fort :
"What
the woman who labors wants is the right to live, not simply exist —
the right to life as the rich woman has the right to life, and the
sun and music and art. You have nothing that the humblest worker has
not a right to have also. The worker must have bread, but she must
have roses, too. Help, you women of privilege, give her the ballot to
fight with."
[« Ce
qu'une femme qui travaille veut c'est le droit de vivre pas
simplement d'exister – le droit à la vie comme une femme riche à
le droit à la vie, et au soleil et à la musique et à l'art. Vous
n'avez rien qu'une humble travailleuse n'ait pas le droit d'avoir
aussi. La travailleuse doit avoir du pain mais aussi des roses. Aidez
nous, vous les femmes privilégiées, donnez leur le bulletin de vote
avec lequel elles pourront se battre. »]
Je
tiens, juste avant de continuer plus vigoureusement dans l'impact que
ce poème a eu, rendre justice à tous ceux qui ont écrit sur cette
merveilleuse dame ou qui ont contribué à diffuser ce slogan car en
relisant tous les numéros de l'American de 1911, afin de retrouver
le poème en question, je me suis rendu compte que l'expression
« Bread & Roses » (ou plutôt « Bread &
Flowers » ici) y avait déjà été employée par une
jeune journaliste, Helen M. Todd, qui écrit un article sur la
campagne automobile des suffragettes dans l'Illinois dans le numéro
de Septembre de la même année. Bref tout ça pour dire qu'il n'a
rien inventé le petit Monsieur.
Ces
mots (parce qu'on parle pas ici ni du poème, ni de la chanson)
furent associé par Upton Sinclair dans The Cry for Justice:
An Anthology of the Literature of Social Protest à la grève
du textile de Lawrence :
Lawrence,
Massachussetts, Janvier 1912. Une loi du travail est adoptée par
l’État diminuant les heures de travail obligatoires (de 56 à 54
heures). A cela, certains patrons de grandes usines de textiles
répondent par une baisse des salaires. (ils sont pas con-cons
hein...). Les travailleurs décident de faire la grève, travailleurs
en majorité immigrants et surtout (usines de textiles obligent) des
femmes. La grève est gérée par entre autres par les Industrial
Workers of the World, un syndicat international qui à pour but
d'éliminer le salariat et de créer un seul syndicat global pour les
travailleurs, the One Big Union ou The Union, pour les intimes (mais
j'y reviendrai sûrement dans un article plus détaillé). Ainsi, de
longues manifestations pacifistes s'organisent dans les rues
réunissant toutes sortes de populations.
Après
un mois de grève, les leaders de IWW décident d'envoyer des
centaines d'enfants de familles grévistes (qui mourraient de faim)
chez des sympathisants de l'état de New York, dans le New Jersey et
dans Vermont. Le déplacement du 24 Février, qui ne fut pas le
premier, fut interrompu par la violence des forces de l'ordre qui
tapèrent dans la masse, il faut le dire, sans vraiment faire
attention au sexe ou à l'age de leurs opposants.
Les
enfants de Lawrence durant une exode. Je sais pas laquelle....
|
Le
piquet de grève ne durera que trois mois mais resta graver dans les
mémoires collectives car celle-ci apparaît comme une des premières
grèves réellement organisées et se distingue par une entraide
humaine qui dépasse l'age, le sexe ou les origines des travailleurs
et des syndicats présents. En gros, c'est tout le monde contre les
gros méchants patrons, et ça c'est une première !
L'association
au slogan devient alors compréhensible surtout maintenant que l'on
sait que plus de la moitié des grévistes étaient des femmes.
J'avais lu quelque part, il m'est impossible maintenant de retrouver
où, qu'un journaliste de l'époque avait mentionné que c'était
aussi une des première grève « chantante » c'est à
dire qu'on ne faisait pas qu'y scander des phrasés efficaces mais on
y entonnait de véritables chansons. Après, comme il m'est
impossible de retrouver la source, ça vaut ce que ça vaut quoi…
Aussi,
même si le poème connu un franc succès à l'époque, il semble
comme y avoir un vide d'une cinquantaine d'années pendant lesquelles
il tomba quelque peu aux oubliettes. Il fut récité à deux ou trois
commémorations des deux Grandes Guerres en Angleterre, où il prend
un autre sens. On ne parle plus de la femme qui milite pour la cause
mais de la femme qui remplace l'homme, qui fait tourner le pays
pendant qu'il est au front. « WE CAN DO IT ! »
Il
faudra alors attendre 1971 pour lui redonner son blason d’antan. On
empreinte à nouveau le slogan et on retranscrit le poème dans un
article traitant de la nécessite de la « libération »
de la femme, écrit par Kathy McAfee et Myrna Wood, les années 70
étant la période qui connaît un espèce de second souffle
féministe après le début du siècle, pendant lesquelles vont
apparaître ce qu'on appelle les « féministes modernes ».
Ooh deeep in my heart, I do believe, we shall overcooome... |
Ainsi,
la première à l'avoir mis en musique n'est autre que Mimi Farina,
en 1976, la petite sœur de Joan Baez, elle aussi plus ou moins
musicienne qui créera une association portant le même nom ayant
pour but d'organiser des concerts gratuits et des divertissements
autour de la musique dans les prisons, les hôpitaux et les centres
médicaux. Ah Mimi au grand coeur !
Voici
un petit enregistrement live
de l'interprétation des deux sœurs lors d'un concert à but
non-lucratif.
Cette
chanson sera reprise maintes et maintes fois entre autres par Judy
Collins, l'année suivante (ma version préférée!), qui sortira
un album éponyme, ou encore Ani
DiFranco, grande activiste de la cause féministe dans les années
90.
La
chanson sera officiellement reconnue comme un hymne lorsqu'elle
apparaît dans le Singing Living Tradition, sorte de
corpus de toutes les chansons fédératrices, publié par
l'Association Universaliste Unitarienne, même si à ce stade ce
n'était qu'une petite formalité..
L’appellation
« Bread & Roses » reste aujourd'hui pleine de
signification. Elle est encore utilisée par certains groupes
activistes, féministes ou non d'ailleurs, certains festivals, une
radio féministe aux États-Unis, et plusieurs associations dans le
monde. Il y aura trois films portant ce nom, dont un sortit en 2000,
présentant en tête d'affiche Adrien Brody, qui soulève le problème
des droits des immigrés mexicains au États-Unis, dont vous
trouverez la bande annonce ici. (pas
le plus grand des chefs d’œuvre mais ça se laisse regarder).
Et
enfin, elle se retrouve dans Pride (et
oui j'ai commencé l'article comme ça, il va bien falloir que j'en
parle…) :
Pour
ceux qui l'ont pas encore vu (SHAME ON YOU!), Pride se
passe en 1984. Margaret Thatcher est au pouvoir et on se trouve en
plein conflit avec les mineurs qui viennent de voter la grève. A
Londres, face à la violence dirigée contre ces derniers, un
syndicat d'activistes gay et lesbien décide de lancer une campagne
de support pour venir en aide aux familles des mineurs. Leurs fonds
étant refusés par l'Union Nationale des Mineurs, la LGSM (Lesbians
& Gays Support the Miners) choisissent un petit village au fin
fond du Pays de Galles et décide de partir leur remettre l'argent en
main propre. Le film traite du choc des classes sociales, des
cultures, des opinions. Pride est une histoire
humaine avant d'être politique, une comédie anglaise comme on les
aime, un film un peu léger mais chargé d'émotions qui s'inspire
d'une histoire vraie. Et oui, tout ça en même temps !
Dans
le film, Bread
& Roses cèle le moment où les mineurs acceptent enfin
l'aide des jeunes syndicalistes et décident donc de mettre de côté
leurs différences. Trop choupinoupinet. On retrouve donc là,
le symbole de l'union de gens très (peut être trop) différents qui
vont se battre pour la même cause, l'entraide face à l'adversité.
Je
vous avais dit que c'était pas un message de tapette !
Liens
annexes :
- Paroles
et traduction de la chanson
-Article de
Kathy McAfee et de Myrna Wood : What is the revolutionary
potential of Women's liberation ?
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